La troisième réforme de la fiscalité des entreprises intervient dans ce contexte de défiscalisation massive.
Si le canton voisin de Vaud se permet de l’aborder avec arrogance, c’est précisément que ce canton n’a pas procédé à la baisse de la fiscalité des personnes physiques, et dégage des excédents de recettes considérables (1,3 milliard pour le canton et les communes). Ce n’est absolument pas le cas de Genève, pour laquelle cette réforme s’annonce comme un cataclysme : sans qu’on connaisse exactement 8
le montant de la facture à payer, celle-ci sera de plusieurs centaines de millions, entre 500 et 1 milliard, soit entre la moitié et la totalité des postes du petit État.
L’objectif premier de cette réforme est de supprimer les différences de statut fiscal en entreprises étrangères et suisses, qui ont fait de la Suisse un paradis fiscal pour les premières. Mais les milieux patronaux et le Conseil fédéral et les chambres fédérales introduisent dans le projet des baisses fiscales sans aucun lien avec la suppression des statuts fiscaux spéciaux, qui auront des conséquences dramatiques pour certains cantons et pour la Confédération, dans le seul but de permettre aux entreprises d’accroître leurs profits : suppression du droit de timbre, défiscalisation des revenus de la propriété intellectuelle (« patent box ») et de la R&D, allégements supplémentaires de l’impôt sur le capital, possibilité de baisser l’impôt cantonal sur le bénéfice, ou encore déduction des intérêts notionnels.
Une telle réforme devra être combattue au niveau national. La Confédération va perdre plusieurs milliards (les montants avancés aujourd’hui sont probablement sous-estimés) et a déjà annoncé des coupes dans la formation, pourtant indispensable dans notre pays, l’aide au développement notamment. Les conditions de travail du personnel de la Confédération sont attaquées directement. Le dumping fiscal inter cantonal s’accroîtra : 14 cantons ont annoncé des baisses, pouvant descendre jusqu’à 12%.
Au niveau genevois, le Conseil d’État annonce depuis 2012 une baisse à 13%, contre 24% actuellement de l’imposition du bénéfice des entreprises, sans prendre aucune autre mesure. Il brade ainsi purement et simplement le service public au nom de cadeaux fiscaux, sans chercher aucune mesure pour éviter ces impacts destructeurs.
Les entreprises à statut, qui ont profité d’exonérations scandaleuses à l’échelle internationale, verront une augmentation de 2 à 3% de leur impôt.
Les entreprises ordinaires verront par contre leur fiscalité baisser sans qu’elles n’aient rien à faire. Le montant de ces baisses est estimé à plus de 800 millions, que les entreprises garderont et qui seront perdus pour la production de services publics. Pour Genève, la baisse atteint presque 70% de l’impôt actuel!
Les entreprises ont annoncé être d’accord de verser une compensation d’une cinquantaine de millions par année. Celle représente à peine plus de 6% du montant qu’elles économiseront, soit des cacahouètes. En échange, elles obtiendront des droits de décisions dans les domaines qu’elles financeront, et qui sont du ressort de la gouvernance publique, comme c’est le cas dans le domaine de la petite enfance.
La Confédération a annoncé compenser une partie des pertes cantonales, et pour Genève, cette compensation se monterait à 130 à 150 millions, soit environ un cinquième des pertes.
Pour le Conseil d’État et la majorité parlementaire pro patronale, le reste de facture, la plus grande part, est à payer par la fonction publique et les secteurs subventionnés et la population, via la dégradation des prestations.
Une telle baisse est clairement irresponsable, et occasionnera une série de conséquences désastreuses :
- Dégradations des conditions de travail pour des dizaines de milliers de salarié-e-s
- Dégradation des prestations pour l’ensemble de la population; probablement en premier lieu les plus démunis, selon la logique chère à la majorité;
- Accroissement de l’incapacité de réponse aux besoins de la population;
- Coupes dans les subventions;
- Risque de privatisation à grande échelle.
- Nous sommes persuadés qu’il existe une marge de manoeuvre pour éviter dans une très forte mesure les pertes d’emploi.
Les délocalisations au plan international sont certainement limitées du fait des nombreux facteurs autres que la fiscalité qui ont attirés les entreprises en Suisse. D’autre part, une harmonisation des taux d’imposition au niveau suisse éviterait la sous-enchère fiscale entre cantons, et les délocalisations inter-cantonales. L’étude du CREA qui sert d’appui et d’épouvantail du Conseil d’Etat fixe l’hypothèse d’un départ de toutes les entreprises à statuts et de toutes les entreprises qui travaillent avec elles avec la perte de tous les emplois qui en dépendent. Cette hypothèse n’est pas réaliste. Le Conseil d’État ne fait rien d’autres que fixer une fiscalité à la carte pour les entreprises.
Nos organisations s’opposent à cette approche qui sacrifie les prestations publiques et les conditions de travail des services publics sur l’autel des cadeaux fiscaux. Une telle réforme doit se faire sans pertes pour les finances publiques, sachant que les moyens existent. Dans de telles conditions, nos organisations se battront, notamment par le référendum, contre une mise en oeuvre genevoise de la RIE III qui vide les caisses publiques au profit des entreprises et des actionnaires.